Eliane Castelnau, un parcours architectural hors-norme

 

Imad Dahmani


Le 1er septembre 2023 marque une date particulière avec l’histoire de l’architecture marocaine post-indépendante, elle célèbre l’anniversaire du centenaire de l’architecte Eliane Castelnau. Une architecte pionnière, l’une des premières femmes architectes au Maroc. Son parcours et sa contribution remarquable et inventive laissa une trace indélébile dans la scène architecturale marocaine.  

Née en 1923, en Mont Dore, en France, elle était l’élève au sein de l’atelier Perret duquel elle rencontre en 1943 Henri Tastemain (futur époux et associé) et passera donc son diplôme d’architecte DPLG en 1954. Sa relation avec le Maroc a commencé en 1948 quand elle a été appelée par Michel Ecochard au Service de l’urbanisme de Rabat ainsi qu’Henri Tastemain, ce contexte a permis aussi d’être membre du Groupement des architectes modernes marocains (GAMMA) avec des architectes tels que Domenico Basciano, Édouard Delaporte, Elie Azagury…

Après un bref passage chez Jean Chemineau (1949/50), Henri Tastemain et Eliane Castelnau deviennent associés et vont travailler ensemble au Maroc (1951). Ils vont réaliser à titre commun ou individuel des programmes variés à travers l’ensemble du Maroc (Logements/Equipements hospitaliers et scolaires/Maisons individuelles…). Elle entre au Service d’urbanisme de Rabat, puis devient inspectrice pour la ville de Rabat-Salé et pour la province de Meknès (1956/62). Elle deviendra architecte en chef du Centre hospitalier universitaire de Rabat, pour lequel elle construira de nombreux hôpitaux dont elle sera la spécialiste et plusieurs équipements hôteliers…

Elle est lauréate du prix de la « Femme Architecte » 2016 – Mention Pionnière, décernée par l’ARVHA.

Eliane Castelnau

© Archives Tastemain et Castelnau

Dans la période d’après-guerre et le début de la seconde moitié du XXème siècle, l’architecture marocaine connut une transition significative au sein de son environnement politique, culturel et esthétique. Eliane Castelnau, et nombreux d’architectes de cette génération pionnière vont façonner dès 1956 a la création d’un langage architectural d’un Maroc indépendant et réceptifs aux types et aux esthétiques de la modernité.

Cette période s’illustre dans une démarche d’une architecture qui voulait inscrire le pays dans son époque et une vision qui marque une rupture avec les anciens modèles. On parlera même d’une « école de Rabat » (La plupart des architectes installés à Rabat), et qui sera traduite l’édification d’une architecture nouvelle, nationale, dont le béton devient le matériau d’excellence, et le médium d’un langage commun, on a même assisté à une collaboration fructueuse entre Tastemain et Castlenau dans l’œuvre de la Banque Nationale de développement de Rabat en association avec J.F Zevaco, A. Faraoui, P. de Mazieres, l’auteur Jean-Louis Cohen l’a résumé en affirmant :

Ils partagent une même attitude de rejet envers les errements, à leur yeux monumentaux et pittoresques, de l’architecture marocaine de l’entre-deux guerres. Cependant ils ne constituaient pas en vérité un groupe soudé autour d’une démarche commune, chacun avait ses influences mais néanmoins se sont mis d’accord sur un socle et des idées qu’ils devaient défendre.

Hôpital des Spécialités, Rabat, Eliane Castelnau | 1977

© Eliane Castelnau-Henri Tastemain-Recherche et Architecture n°55 1983-EXTRAIT 6-Spécialités

Banque Nationale de développement de Rabat | 1962 avec ( H. Tastemain, J.F Zevaco, A. Faraoui, P. de Mazieres)

© Udo Kultermann. Architecture Nouvelle en Afrique

D’après la monographie des réalisations effectuées entre 1950 et 1974, Castelnau et Tastemain affirment une idée d’architecture universelle en disant :

“Cette recherche nous parait marquée d’abord par la continuité dans une certaine idée de l’Architecture, mais aussi par une évolution. Cette évolution sera régie, non par la mode, mais par une réflexion sur notre propre production sur l’architecture contemporaine en général” .

Malgré les projets variés en usage, ils se sont attachés dans une continuité de principes corbuséens et résolument moderne, celle d’une symbiose entre trois éléments, l’accord entre la forme, l’affirmation de la structure et l’expression des fonctions du bâtiment comme on le voit clairement dans l’Hôpital pour enfants et maternité (1000 lits en 1972/76) en association avec Louis Riou.

Hôpital Maternité Enfants, Rabat, Eliane Castelnau | 1972 (en association avec Louis Riou)

© Eliane Castelnau-Henri Tastemain-Recherche et Architecture n°55 1983-EXTRAIT 3-Hôpital Maternité Enfants

Mais l’une des contraintes phares qu’elle s’est attachée est la question de l’intégration au site dans son environnement naturel ou urbain et une attitude d’humilité avec le contexte. Loin du pastiche ou du folklore, son architecture questionnait plusieurs aspects universels tels que l’échelle des bâtiments, la matière ou la couleur des matériaux employés. On dénote un ancrage avec le lieu en faisait parfois appel aux techniques traditionnelles tels que le revêtement de céramique ou bois de cèdre ciré, aux bassins et canaux d’irrigation de l’architecture traditionnelle du Maghreb comme dans l’institut national agronomique Hassan II (1963/66). Une architecture qui se refuse d’être purement utilitaire et fonctionnelle en évitant la raideur de certains modèles, ou bien un geste plastique mais veut tendre vers une expression plus humaine.

Ces principes se traduisent grâce aux formes géométriques simples créant un lien de parenté entre les deux architectures existantes (ancienne et moderne). Elle s’exprime sous forme de prismes blancs sous le soleil créant un jeu d’ombre et lumière cher à Le Corbusier qui affirma dans une citation :

"L'architecture est le jeu savant correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière"

En conclusion, on pourrait affirmer que son héritage architectural ainsi que toute cette génération témoignaient d’une époque flamboyante et une contribution marquante a la modernité urbaine et architecturale du Maroc et constitue une ossature et un leg important dans notre patrimoine. Cette idée d’une “Architecture” qu’elle partageait n’était pas le le résultat d’une mode, d’un phénomène passager mais d’un ancrage profond au contexte (au sens où Michel Foucault entend ce terme : "non une période, mais une attitude")

Liste de quelques projets non exhaustifs

 
 

BIBLIOGRAPHIE

Cohen, Jean-Louis, and Monique Eleb. Casablanca: Mythes et figures d’une aventure urbaine. Nouv. éd édition. Paris: Hazan, 2004

Cohen, Jean-Louis, Naciri Mohammed. Henri Tastemain, Eliane Castelnau : Oeuvres Architecturales 1950-2010, 2016

Kultermann Udo. Architecture nouvelle en Afrique. Paris : A. Morancé, cop. 1963. 180 p.

Tastemain Henri , Castelnau Eliane. Réalisations 1950-1974

« Eliane Castelnau »  sur Femmes architectes

Imad Dahmani

Architecte, diplômé de l'école d'architecture de Casablanca en 2015. Sa première expérience professionnelle s'est déroulée à Paris chez "Architecture Studio" en 2016. En 2017, il rejoint "MAG Architecture," à Casablanca et ouvre son agence Atelier Dahmani Architects en 2021. Il est professeur à l'école d'architecture de Casablanca et cofondateur de l'association MAMMA. Il est actuellement inscrit en master spécialisé en patrimoine architectural (DSAP) à l'école nationale d'architecture de Rabat et à l'école de Chaillot de Paris.

 
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